Le ‘Je vous salue Marie’, ou ‘ Ave Maria ‘, est une prière qui s’est constituée au fil du temps. Dans sa formulation actuelle, elle apparaît dans différents bréviaires dès le XVIe siècle, et c’est le pape Pie V qui, en 1568, l’introduira officiellement dans le bréviaire romain. L’article explique son origine, sa composition, et présente le commentaire qui en a été fait par st Thomas d’Aquin, docteur de l’Eglise, au XIIIès.

Les antiennes (chants liturgiques) liées aux fêtes de l’Annonciation et de la Visitation reprenaient les paroles de l’Archange Gabriel à la Vierge Marie, ainsi que celles d’Elisabeth à Marie. De ces antiennes est née la prière ’je vous salue Marie’, ou ‘Ave Maria’ que nous récitons. A ces deux antiennes s’est ensuite ajoutée, au fil du temps, une prière de supplication.

Les paroles de l’Annonciation
Lorsque nous récitons cette prière, nous la débutons en redisant les paroles par lesquelles l’ange Gabriel a salué la Vierge Marie au moment de l’Annonciation (Luc 1,28). Comme l’écrit Charles Péguy :
‘L’Annonciation est une heure unique dans l’histoire mystique et dans l’histoire spirituelle. C’est une heure culminante. C’est un moment unique et comme un point de moment, un moment ponctuel. C’est toute la fin d’un monde et tout le commencement de l’autre. Toute la fin du premier monde mystique et tout le commencement de l’autre. (…) Et comme un point et une pointe et une cime est étroite et fine et n’a point toute la largeur de sa base, ainsi cette large promesse, commencée à tout un monde, réduite à tout un peuple, aboutissait dans le secret et l’ombre à une humble enfant, fleur et couronnement de toute une race, fleur et couronnement de tout le monde.

Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous’. La prière débute par les paroles de l’Archange Gabriel, envoyé de Dieu. St Thomas d’Aquin explique dans son ‘Commentaire sur l’Ave Maria’, qu’aucun Ange, en dehors de cet événement, n’a jamais rendu hommage à une créature humaine. En effet, l’Ange est supérieur à l’homme, en raison de sa nature spirituelle.
Il ne convenait pas que l’Ange s’inclinât devant l’homme, jusqu’au jour où parut une créature humaine, surpassant les Anges par sa plénitude de grâce, par sa familiarité avec Dieu et par sa dignité. Cette créature fut la bienheureuse Vierge Marie. Pour reconnaître cette supériorité, l’Ange lui témoigna sa vénération par ces paroles : ‘Je vous salue’.

La Vierge Marie est désignée par l’Ange comme « pleine de grâce ». St Thomas d’Aquin explique que par cette expression l’Archange Gabriel reconnaît la prééminence de la Vierge Marie en matière de grâce, prééminence qui s’exerce également sur les Anges. La plénitude de la grâce de Marie se révèle selon st Thomas d’Aquin dans le fait qu’elle a été préservée du péché originel, mais également parce qu’elle accomplit les œuvres de toutes les vertus ; d’autre part, l’âme de la Vierge Marie rejaillit sur sa chair, au point de permettre l’Incarnation. Enfin, st Thomas nous dit que cette plénitude de grâce rejaillit sur tous les hommes.

Les paroles de la Visitation
Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de vos entrailles est béni’.
Ces paroles sont celles que prononce Elisabeth sous l’action de l’Esprit Saint (Luc 1,42). St Thomas d’Aquin ouvre le sens de cette bénédiction : il nous explique que le péché originel a entraîné trois malédictions contre l’homme : la première, sur la femme (enfantement dans la douleur), la seconde contre l’homme (gagner son pain à la sueur de son front), la troisième contre l’homme et la femme (la mort). Or la Bienheureuse Vierge Marie, nous dit st Thomas, est exempte de ces trois malédictions : la Vierge Marie enfanta en effet dans la joie, elle fut exempte de tout travail, puisqu’elle vaquait à Dieu seul ; enfin la Vierge Marie fut enlevée au ciel avec son corps. le terme « entrailles » prend un sens encore plus profond si on le rapproche du mot hébreu dont il est tiré – rahamim – qui est de la même racine que le mot « miséricorde ». Jésus devient alors le fruit de la miséricorde de la Vierge Marie…

Une prière christologique
St Thomas explique que la Vierge Marie trouva sa déification dans le fruit de ses entrailles, contrairement à Ève qui crut trouver sa propre déification en transgressant l’interdit. Et si, pour Ève, le fruit était « agréable à voir’ (Gen. 3, 6), combien plus beau et bon est le fruit des entrailles de la Vierge Marie, lui qui est béni de Dieu et béni des Anges !
Lorsque nous récitons cette prière, nous pouvons ainsi nous remémorer ces deux mystères joyeux que sont l’Annonciation et la Visitation, et contempler Jésus, le fruit des entrailles de la Vierge Marie.

La prière de supplication
La dernière partie de la prière de l’’Ave Maria’ est une prière de supplication. Elle reprend les paroles de saint Simon Stock, carme anglais du XIIIès, qui reçut de la Vierge Marie, lors d’une vision, le Scapulaire. Celui-ci, juste avant de rendre son âme à Dieu (en 1265), pria ainsi :
« Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen »

Ces paroles furent reprises dans la liturgie et intégrées peu à peu dans les bréviaires: certains pensent que c’est Odon (Eudes) de Sully, évêque de Paris de 1196 à 1208, qui ajouta aux deux antiennes mariales cette prière de supplication. La piété mariale s’est en effet beaucoup développée au XIIIès., et Odon de Sully est au cœur de ce renouveau : en témoigne tout ce qu’il a mis en œuvre pour continuer la construction de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
C’est le pape Pie V qui a introduit dans le bréviaire romain le ‘Je vous salue Marie’ sous sa forme définitive, amplifiée.
Enfin, dans cette prière, nous invoquons la Vierge Marie sous le vocable de « Mère de Dieu ». Cette expression est issue du Concile Éphèse, qui a proclamé en 431 le dogme de la maternité divine de Marie : Marie est en effet appelée ‘Theotokos’.

Lorsque nous prions le ‘Je vous salue Marie’, nous effectuons donc à la fois une prière de louange, fondée sur la remémoration et la contemplation des paroles de l’Annonciation et de la Visitation, et sur le Christ, fruit des entrailles de la Vierge Marie, une prière de supplication pour notre salut, maintenant et dans le moment crucial de notre grand départ et l’affirmation de la maternité divine de Marie. Il n’est donc pas étonnant que la sainte Vierge aime tant cette prière, comme elle l’a confié à sainte Mechthilde.

Isabelle Rolland

Pour en savoir plus:
Sur l’Exposition de la salutation angélique par st Thomas d’Aquin

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