Le sujet ne pourrait être plus dramatique : une jeune fille en détresse, attaquée par un dragon féroce, lequel est vaincu par St. George. Mais la vierge dans cette peinture d’environ 1470 de Paolo Uccello (1397-1475) semble tout sauf effrayée. En effet, la manière dont elle observe le monstre pourrait faire croire qu’elle est en train de regarder son toutou. Elle le tient sur une simple laisse (certains disent que c’est sa ceinture) quand des chaînes en fer ne pourraient le retenir. Pourtant elle a l’air très calme – comme si elle était en train de se promener. On aurait pu s’attendre à plus de suspense comme, par exemple, dans l’œuvre de Tintoret où la jeune femme court à toutes jambes. Pourtant le style plus ancien et gothique d’Uccello qu’il préféra au réalisme plus classique de ses contemporains lui permet peut-être d’exprimer plus facilement certaines vérités d’ordre spirituel.

La vierge représente l’âme en état de grâce qui, de par son acte de foi, dépend totalement de Dieu. Aucune domination ni puissance, aucun démon, quels que soient leur intelligence, ne pourrait lui nuire, car elle dépend complètement de Dieu. La ficelle qui semble si fragile et avec laquelle elle tient le dragon est en vérité sa foi et sa confiance en Dieu qui suffisent pour tenir le monstre à distance. Si c’est en effet sa ceinture par lequel elle retient l’animal, celle-ci symboliserait alors sa chasteté : son amour pour Dieu a nourri son âme au point qu’elle peut contenir le dragon sauvage de la volupté. Car en mettant Dieu en premier, elle peut mieux aimer les êtres humains. Contrairement aux disciples pendant la tempête, elle n’a pas peur, car elle sait que le Christ est présent, même si l’on a l’impression qu’Il dort ou qu’Il est absent pendant ces moments de crise. Elle a reconnu qu’avec Sa présence secrète dans son cœur, rien ne peut lui nuire. En effet, Il lui envoie un chevalier pour la protéger, lui montrant que sa foi lui suffit. Le chevalier attaque, blesse et vainc le dragon pendant qu’elle ne fait rien d’autre que de le tenir en laisse. Pourtant, il semblerait que c’est bien elle qui l’a attachée, avant même l’arrivée de St. Georges. Avec un mouvement de la main, elle lui montre le saurien qu’il peut maintenant tuer sans devoir le poursuivre. Bien qu’elle semble si fragile, elle a réussi à se défendre contre le monstre.
St. Georges lui-même ne parait pas très puissant. Il a l’air jeune, aussi virginal et recueilli que la femme, cherchant comme elle sa force dans quelqu’un de plus grand que lui-même. Leur jeunesse ne signifie pas naïveté ni manque d’expérience, mais elle vient de la jeunesse éternelle de Dieu, la source infinie de bonté, qui ne devient jamais cynique ni ne désespère en face du péché. Cette espérance surnaturelle leur permet de faire face au mal, en voyant son danger sans en être accablés, sachant que la victoire finale appartient à Dieu. En effet, le jeune guerrier charge, porté par l’élan de son courage, fondé sur Dieu plutôt que sur lui-même.

La dame se tient dans un jardin joliment arrangé ce qui fait que le dragon semble très déplacé. C’est le jardin de son âme qu’elle a entretenue par sa vie de prière. Sa posture et son visage manifestent son esprit contemplatif. Effectivement, elle parait recueillie et en prière, pendant que le drame se déroule. Habillée comme une femme de la haute société, une certaine noblesse émane d’elle qui vient de son époux divin pour Lequel elle a gardé sa lampe remplie d’huile. Son attitude aristocratique ne vient pas nécessairement de son milieu, mais de sa transformation dans le Christ, le roi éternel à travers qui nous devenons tous des rois et des reines.

Mais son âme contient plus que ce jardin bien-entretenu. Sur l’arrière-plan une grande cave sombre se dessine, de laquelle le dragon a probablement surgi. Nous tous avons ces abîmes en nous, ces blessures qui nous affaiblissent et nous rendent enclins à chercher des contrefaçons pour l’amour que nous désirons au plus profond de nous-mêmes. L’argent, le sexe, le pouvoir, le prestige, le travail et les idéologies sont des manières typiques de divertissements pour satisfaire à ce manque. Mais quand nous leurs cédons, le dragon ne fait que s’élargir et finit par nous avaler – car il ne restera rien en nous que notre adoration idolâtre de ces biens finis qui nous détruisent.

Le dragon est terrifiant. Ce mélange de lézard géant et de chauve-souris avec ses grosses griffes et dents parait démoniaque. Débout, il surplomberait ces deux êtres humains. Mais ils l’ont assujetti par leur humilité qui le rend impuissant – lui, solide comme un roc, conquis par deux jeunes, comme jadis Goliath fut abattu par David. Car le courage surnaturel perçoit que le prestige qui prétend être infini et éternel n’est que limité. Bien que les puissants puissent tuer le corps, ils ne peuvent détruire l’âme. En combattant le mal, nous dévoilons sa vraie nature ce qui lui porte le coup fatal, même si l’on y laisse sa vie. Car le mal ne peut supporter que la vérité sur lui soit dévoilée, mais va la combattre becs et ongles. Néanmoins la vérité éclatera un jour.

Il y aura toujours des dragons. La bataille n’est pas finie. Ce dragon, bien que blessé, n’est pas mort. Il ressortira de sa cave ou un autre émergera à un moment ou à un autre. Pour le moment, la tempête semble à peine finie. Les tourbillons sombres de l’ouragan paraissent encore bien proches de St Georges. La dame a passé à travers une tempête terrible sans perdre sa paix, et, apparemment de nulle part, du centre de l’ouragan même, St Georges est venu pour la sauver. Pour l’instant, le pire est passé, mais la jeune femme est encore dans l’œil du cyclone. Le calme ne va pas durer. En effet, il y aura des tempêtes jusqu’à la fin de ses jours, et le pire aura probablement lieu juste avant qu’elle passe de cette vie à l’autre pour se retrouver enfin dans les bras de son Père céleste. Mais ce n’est pas les dragons qui doivent nous inquiéter, ni les caves noires où ils rôdent, mais seulement notre manque de confiance en Dieu. Car Lui nous sauvera, si seulement nous Le désirons plus que tout autre chose.

Prions Marie qui défait les nœuds de nous assister dans ce combat spirituel

Marie Meaney

 source iconographique: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paolo_Uccello_047.jpg

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