Quand les hommes parlent de justice, ils ne songent qu’aux revendications sociales, au partage équitable des biens de ce monde. On parle de justice sociale, d’équité, et on pense que cela seul fera le bonheur humain. Cette aspiration légitime fait oublier aux hommes le vrai sens de la vie et le vrai sens de la justice de Dieu qui rendra, comme un juge, à chacun ce qui lui revient selon ses œuvres. Mais pour que l’homme soit juste, il doit retrouver le sens de sa vie en Dieu et devenir le miroir du Christ comme Marie le fut sur terre, et nous invite à le devenir avec l’aide de la grâce du Christ. Cela suppose de reconquérir les trois vertus essentielles à notre sainteté perdue : l’humilité, l’obéissance et la pénitence.

La grandeur de l’homme et sa chute
La bonté dans l’homme correspond à sa justice et l’idée de justice est ce qu’il y a de plus sacré, de plus impérissable. Il a beau faire le mal, il sait en conscience qu’il y a en lui une loi qui le défend et qui l’appelle à vivre dans une probité morale exemplaire. Il sent en lui un juge inexorable qui est la loi de la justice. Cette idée-là est la racine de son existence et la moelle de sa vie. C’est par là que, sorti du néant, il se sent relié au principe vivant et éternel qui est Dieu, sa Cause première et sa Fin suprême. C’est dans cet aspect de justice que l’homme se reconnaît, s’affirme et se distingue au milieu de tout ce qui l’entoure. C’est par là qu’il a conscience de ses droits et de ses devoirs, réclamant les uns par la même loi qui l’oblige lui-même à accomplir les autres. Il sait et sent naturellement qu’il n’y a de bon, de vrai et d’utile que ce qui est juste, et donc que cette loi qui n’est pas juste, est fausse et sans valeur, et que toute œuvre contraire à la justice est une infamie. Ce principe intime de justice est dans le cœur de tout homme car il est le rayon même en nous de l’éternelle justice qui est en Dieu lui-même.
Ce sens de la justice est la pensée même de Dieu s’exprimant en nous, nous révélant le principe essentiel de son être qui est l’infinie justice, source première et type souverain et unique de tous les esprits purs et de toutes les âmes humaines créés à son image. Toutes les justices individuelles de ces vies libres, filles de la justice éternelle, ne sont pas autre chose que des miroirs vivants et très purs chargés de se renvoyer les uns aux autres les lumières qu’ils reçoivent tous du même soleil lumineux par lui-même qui est Dieu.
Avant la chute, l’homme était un miroir divin. Il reproduisait en lui parfaitement cette image. Sa nature innocente, éclairée, forte et surtout exaltée et vivifiée par la grâce surnaturellement, l’aidait puissamment dans ce travail d’union à Dieu. Entre les forces naturelles et surnaturelles, il y avait comme une sainte émulation à mener à sa perfection ce chef d’œuvre qui consistait à faire de lui le miroir le plus parfait possible de la divine justice.
Après la chute, l’homme trompé par Satan, crut arriver plus vite à ressembler à Dieu en voulant par la force orgueilleuse s’égaler à lui. Il crut à cette parole : « Vous serez comme des dieux. » (Gn 3, 5)
Ce fut la triple corruption de l’esprit, du désir : « Vos yeux s’ouvriront, vous saurez le bien et le mal. » (Gn 3, 5) et finalement des sens. Ébranlé dans son esprit, son cœur et ses sens, il mange du fruit beau à voir, cédant à l’attrait du plaisir. Il enfreint l’ordre divin et brave sa menace. De ce triple crime, esprit, cœur et sens, naîtront une triple déchéance, celle de l’esprit, du cœur et des sens. L’homme perdit le sceptre de royauté faisant de lui le roi de la création, et aussi la belle lumière intérieure faisant la joie de son esprit et la gloire de son visage. Il n’était plus le serviteur et l’enfant bien-aimé de Dieu, mais désormais l’esclave et le jouet de Satan, et il se vit dépouillé de sa robe d’innocence le rendant semblable aux anges, et découvrit sa nudité, le forçant à rougir de lui-même et à se cacher.
Adam découvre son cœur vicié dans ses appétits et, condamné à se nourrir de honte, de crainte et de remords, sa chair et ses sens furent aussitôt empoisonnés et corrompus jusqu’au plus intime de lui-même. La pureté perdue, s’évanouit l’immortalité et dans son esprit ce sont les ténèbres, la désolation, le chaos ; dans son cœur surgissent les désirs pervers, dans ses sens, un virus qui les dévore en les pourrissant et les pourrit en les dévorant.
L’homme réduit à ses forces passionnelles, ne pouvait plus rien par lui-même. Il ne pouvait plus être l’image de Dieu et le miroir de sa perfection. Il n’était plus que l’effigie du démon à qui il ressemblait.
Quand Jésus viendra nous sauver, ses mots : « Soyez parfaits comme votre Céleste est parfait » signifient la réhabilitation et le salut qui arrivent. L’homme ne pouvait se refaire à l’image de Dieu. Dieu se résout de se faire lui-même à l’image de l’homme en tout sauf le péché, et pour faire éclater dans la propre chair de l’homme les plus pures et les plus admirables perfections de Dieu, afin de les rendre visibles et tangibles pour l’homme, à tous ses sens et par là à son âme. « Dieu s’est humanisé, disait Saint Athanase, pour diviniser l’homme. » Et par des vertus humaines que Jésus possédait à la perfection, il venait guérir les trois déchéances de l’homme. Pour guérir l’orgueil de son esprit, les convoitises de son cœur, et la révolte de ses sens, il lui offre l’humilité, l’obéissance et la pénitence. Ces trois vertus illustrent la physionomie de Jésus sur terre, Médecin de l’âme et Sauveur de l’homme.
Marie sera le miroir admirable, miroir divin formé et préparé par le Saint Esprit dans lequel et par lequel Dieu se fera tout à tous et révèlera à l’homme ce qu’est l’humilité d’un Dieu, l’obéissance d’un Dieu et la pénitence d’un Dieu. Ces trois vertus seront si attrayantes qu’elles seront le programme des saints et des saintes qui les vivront à la suite de Jésus, de Marie et de Joseph qui furent des miroirs de justice divine.

L’humilité : la vertu de Jésus, Fils de Dieu et de Marie sa Mère
Si Jésus nous dit qu’il faut venir à lui parce qu’il est doux et humble de cœur, c’est parce qu’il sait que cette vertu est tout car elle a le pouvoir de n’être rien et sans elle et hors d’elle, il n’y a que le néant.
Qui a donné au Fils de Dieu cette belle humilité humaine, si ce n’est Marie, la plus humble des vierges, parce qu’il voulait en faire la Mère de son Fils. Marie devait être bien humble c’est-à-dire vide d’elle-même et de toute créature pour être capable de recevoir en elle celui qui remplit le sein éternel et infini du Père. C’est de son humble Fiat qu’a germé, poussé et apparu dans ses bras, cette belle fleur d’humilité divine qu’est Jésus.
Jésus est venu dans le monde pour nous enseigner l’immense richesse de l’humilité. Il viendra au monde dans une crèche, il sera circoncis pour recevoir le cachet humiliant des pécheurs, lui le Saint des saints. Il fuira comme un proscrit devant la colère d’Hérode et il vivra 30 ans à Nazareth avec Joseph et Marie comme un inconnu. Il veut que sa Mère humble l’accompagne sur les routes de Judée et jusqu’au Calvaire. Il va vers les pauvres et les publicains, reçoit le baptême de Jean Baptiste, se chargeant de tous les péchés du monde. Il se cache si on veut le faire roi ; il pardonne à ceux qui l’outragent ; il impose silence aux démons qui célèbrent ses grandeurs ; il s’agenouille devant ses apôtres et leur lave les pieds, et finit par mourir entre deux bandits, lui le Roi du monde.
Pourquoi Jésus et sa Mère se sont montrés si humbles : c’est pour inviter l’homme à ne pas se glorifier sur terre (Ps 7). Dans son enseignement, tout se résume à cette parole : « Mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de cœur. » (Mt 11, 29) et rappelez-vous que les pauvres d’esprit c’est-à-dire les humbles de cœur sont bienheureux car c’est à eux que revient la couronne de rois de l’humilité, puisque l’humilité est la racine de toutes les vertus dignes du Ciel, comme l’orgueil est le germe de tous les vices.
Marie fut pleine de grâce parce qu’elle fut vide d’elle-même. Elle fut exaltée au-dessus de tout car elle fut la plus humble des créatures. Elle, comme Jésus, doivent leur gloire parce qu’ils se sont anéantis entièrement devant la majesté du Père. Qui veut ravir la gloire à Dieu sera humilié car : « Il renverse les puissants de leurs trônes et il élève les humbles. » (Lc 1, 52)
Dans sa royauté, Dieu avait tout au Ciel sauf l’humilité qu’il a voulu s’approprier sur terre pour nous montrer qu’elle est la vertu qui conduit au Ciel, comme l’orgueil nous le fait perdre.

L’obéissance
Le cœur avait aussi besoin de remède, et éduquer le cœur à aimer dans l’esprit divin, c’est lui réapprendre à aimer dans l’humilité et la vertu soutenues par la sagesse de Dieu. Le cœur cédant à l’envie criminelle de connaitre les jouissances du mal grâce à l’aveuglement de l’esprit par l’orgueil et la privation de la grâce sanctifiante, faisant que le cœur humain devenu maître unique de la volonté, se trouve pénétré profondément par la concupiscence et affaibli étrangement dans sa liberté : ses appétits sont dépravés et d’instinct il aime le mal et a horreur du bien.
Pour relever ce cœur et cette volonté, et lui redonner la lumière et la force d’autrefois, et pour dompter les instincts pervers et briser les chaînes du mal, Dieu nous invite à l’obéissance et nous donne un Modèle dans Marie et son Fils. En effet, Marie obéit à la volonté du Père de nous donner son Fils par elle, et elle se soumet par amour dans un Fiat d’humilité et de générosité pour notre salut : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. » (Lc 1, 38)
Et Jésus, envoyé par son Père au milieu des hommes dira : « Me voici, Ô Dieu, je viens pour faire votre volonté. » (Ps 40, 8-9).
C’est par obéissance que Jésus et Marie sont venus vers nous, et c’est aussi par obéissance à la volonté de Dieu dans sa parole libératrice, que je pourrai fuir les fausses lumières du monde et tous les mensonges de séduction.
Jésus et Marie sont les miroirs parfaits de l’obéissance que toute créature doit à Dieu. Jésus a obéi à son Père jusqu’à la mort et à la mort sur la croix ; et Marie a obéi jusqu’à offrir son Fils bien-aimé à la justice de Dieu, au temple et sur la croix du calvaire. En fait, Marie fut un miroir d’obéissance admirable car il semble qu’elle fit un effort plus surhumain en offrant son Fils à la mort, que Jésus en mourant lui-même. Mais ensemble, ils n’ont qu’un cœur et qu’une âme, comme ils n’ont qu’une même chair, de même ils ne font à eux deux qu’un seul et même miroir admirable de l’obéissance auquel et sur lequel doivent se conformer tous ceux qui veulent arriver à être les frères de Jésus et les enfants de Marie, et être un jour participants de leur récompense comme ils l’auront été de leur vertu et de leur soumission au Père.
Jésus et Marie ne font qu’un : un seul cœur, une seule volonté et une seule et même action comme ils n’ont qu’une même destinée, venant d’un même principe qui est l’amour divin, et d’une même fin qui est le salut du monde. Suivre Jésus et Marie comme miroir de l’obéissance à Dieu, c’est observer la parole divine et ses commandements comme expression de la volonté divine.
La pénitence
La pénitence est le troisième remède pour mortifier les sens, pour nos sens dépravés et très souvent en état de révolte. Comme les sens tiennent à l’âme autant qu’au corps, la pénitence qui doit les guérir, va les trouver jusque dans les liens intimes, les reliant à l’esprit et c’est là qu’elle les attaque puissamment par l’abnégation, et elle va s’adresser à chacun d’eux dans leur partie charnelle par la mortification.
Jésus et Marie sont les deux grands modèles de la pénitence chrétienne, ils n’avaient rien à guérir dans leurs sens, ni rien à expier pour eux. Toute leur vie, ils ont fait pénitence pour martyriser tous leurs sens. Jésus n’a pas une pierre où reposer sa tête. Marie trouve toutes les portes closes à Bethléem et met Jésus au monde dans une étable. Jean-Baptiste rappelle que la conversion nécessite la pénitence. Et Jésus invite ses disciples à la pénitence : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » (Lc 9, 23)
Si votre main, votre pied ou votre œil est une occasion de chute, coupez-les et jetez-les loin de vous s’ils peuvent vous conduire en enfer.
Vous serez jugés sur toute parole inutile. La porte est étroite pour entrer au Ciel. Celui qui aura tout quitté : maison, famille et ses biens, recevra le centuple et la vie éternelle. Jésus ne se présente pas en maître, mais en serviteur. Si vous voulez être les premiers, mettez-vous à la dernière place. Que le plus grand soit le serviteur de tous. Voilà le programme de la pénitence chrétienne méprisant les sens, mais prêchant la dignité et le prix infini des âmes.
Jésus fut le grand martyr de la pénitence. Par chacun de ses sens, il expie et mérite pour nous. Sa croix rappelle partout et à tous, le souvenir de ses grandes leçons et du grand exemple par lequel il les a consacrées et divinisées.
Jésus, au regard des siècles, est le grand martyr de la pénitence. Il nous rappelle à tous : « Faites pénitence, car le royaume des Cieux s’est fait tout proche de vous. Recevez le sang qui coule de mes plaies et qui coulera ainsi tant qu’il y aura une âme à sauver dans le monde. » (Mt 4, 17)
Mais comment peut-on regarder cette croix en face, si on est un mondain, un viveur et un jouisseur au lieu d’être un vrai pénitent. La croix agace ces gens et les fait entrer en fureur. Ils l’insultent au lieu de la saluer et veulent l’abattre au lieu de se prosterner devant elle et d’implorer le pardon divin.
Si vous ne pouvez pas regarder le Fils, regardez la Mère, elle est si bonne, si douce, si inoffensive et si secourable parce qu’elle est Notre Dame de la pitié. Les bourreaux du Fils de Dieu ont respecté la douleur et la beauté morale de cette Mère, alors saluez-là vous aussi, et comme miroir de justice, elle vous conduira à son Fils qui a pardonné au bon larron et qui vous pardonnera à vous aussi si vous avez l’humilité de ce bon larron, et de lui dire comme lui : « Seigneur ! Souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume ! » (Lc 23, 42) Et Jésus, ce Fils de Dieu, Sauveur de l’homme vous sauvera car vous crierez avec le centurion : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu ! ». (M 27, 54)
Marie est le Miroir splendide de l’humilité, de l’obéissance et de la pénitence chrétienne, et elle sera toujours l’espérance du monde chrétien avec son Fils qu’elle nous donne à chaque instant, parce qu’elle veut autant que lui, notre salut.

Prions Marie qui défait les nœuds et qui est le Miroir de justice par la sainteté de sa vie, de nous aider à modeler notre cœur sur le sien, à grandir en nous la foi, l’espérance, la charité et toutes les vertus, afin que par son intercession et par la grâce de Dieu, nous devenions des images accomplies de la sainteté de son Fils, et que par notre vie exemplaire, les hommes viennent à notre insu, contempler son visage de crucifié et le reconnaître comme leur Dieu et leur Sauveur. Amen

Père François ZANNINI

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