Il est impossible d’appréhender la spiritualité thérésienne sans mesurer l’ampleur du rôle de Marie dans son chemin de foi, puis dans son œuvre mystique. La Sainte Vierge apparaît dès les premières pages des écrits de la Sainte d’Ávila (1515-1582) sur son enfance. C’est en effet sa mère Beatriz qui lui insuffla, dès son plus jeune âge, cette dévotion si profondément enracinée dans la foi populaire de son temps, notamment à travers la récitation régulière du chapelet.
Une Mère au Ciel
« Quand ma mère mourut, j’avais, je m’en souviens, près de douze ans. Comprenant en partie la perte que je venais de faire, je m’en allai le cœur désolé, devant une statue de Notre Dame et je suppliai la très Sainte Vierge avec beaucoup de larmes de me tenir lieu de mère. » Ces quelques lignes écrites au premier chapitre de son ‘Livre de la Vie’ (1565) laissent peu de doutes quant à la contribution de la Mère du Rédempteur à la vocation de celle qui deviendra la première sainte docteur de l’Église. En se remémorant la constance avec laquelle cette « Vierge souveraine » l’avait toujours secourue et « ramenée auprès d’elle », c’est à qu’elle attribua la grâce de sa conversion, après qu’une période d’égarement et de luttes intérieures eut marqué son adolescence, ainsi que son entrée au carmel.
Cette dévotion toute spéciale façonnera également largement sa vocation de carmélite. Comme en témoigne son ouvrage ‘Les Fondations’ (1582) qui retrace l’histoire des dix-sept couvents carmélites qu’elle a érigés dans toute l’Espagne – et qu’elle appelait « pigeonniers de la Vierge » – son zèle évangélique ne fut que l’expression d’un service qu’elle désirait rendre à Notre-Dame Reine du Carmel, dans le but de « l’honorer et la glorifier » avec son Fils.
Lorsqu’en 1571, elle est nommée prieure du couvent de l’Incarnation d’Ávila – couvent qu’elle réformera amplement –, c’est à Marie qu’elle réserve la première place dans le chœur de l’église, faisant de sa Mère au ciel sa propre prieure, ainsi qu’elle l’écrira dans une lettre à l’intention de son confesseur. (cf. ‘Les relations’,255)
Marie, qui est un pont entre l’homme et le ciel, incarne pour sainte Thérèse de Jésus la figure tutélaire par excellence, une mère céleste éclairant son chemin, la reliant au Seigneur en lui faisant connaître sa volonté. Elle lui est du reste apparue plusieurs fois au cours son existence pour approuver ou orienter ses choix.
500 ans après sa naissance, unie à la Reine du ciel, la Sainte demeure un puissant canal d’intercession pour d’innombrables fidèles à travers le monde. Un vibrant témoignage a été récemment rendu à cet égard par le prêtre syrien Jacques Mourad, lequel a enduré de longs mois de calvaire dans les geôles de l’État islamique en 2015. Dans son livre ‘Un moine en otage’, celui-ci révèle ainsi que c’est auprès de sainte Thérèse de Jésus et de Notre-Dame de Lourdes qu’il a puisé les ressources spirituelles nécessaires pour affronter la perspective du martyre qui se faisait chaque jour plus évidente et menaçante. Alors qu’il subissait quotidiennement toute sorte de sévices, il parvenait à se créer un petit espace de paix intérieure chaque nuit en priant le chapelet, suivi de la prière d’abandon de la Sainte d’Ávila : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit. […] »
Image vivante de Marie
L’un des aspects essentiels de la doctrine thérésienne, celui de la quête de perfection de toute vie chrétienne, repose également fondamentalement sur le modèle marial.
La spiritualité du Carmel étant – comme l’ancienne devise de l’ordre ‘Totus marianus’ le suggère – consubstantiellement marial, toute carmélite est appelée à incarner une image vivante de la Sainte Vierge, splendeur suprême de l’œuvre de Dieu.
Le chemin de tout chrétien vers la perfection, selon sainte Thérèse, repose sur trois piliers essentiels, à savoir les actes d’amour – propres à enflammer les cœurs, le détachement et l’humilité ; autant d’éléments caractéristiques de la vie de la Vierge Marie. L’humilité, en particulier, qu’elle « cite en dernier mais qui est le principal et embrasse toutes les vertus » puisqu’elle donne à voir Dieu, est à rechercher chez la Femme qu’Il a choisie pour s’incarner (Le chemin de la perfection, 4, 4 – 13,3, 1576).
L’expérience mystique mariale de Thérèse, qui lui a montré la proximité de la Vierge avec le Mystère de la Sainte Trinité ainsi qu’avec le Mystère pascal, lui laisse également songer qu’« à mesure que le Seigneur accorde de plus hautes faveurs, les épreuves se font plus rudes » (‘Le Château intérieur’, VI, I, 1577). Des paroles qui donnent à méditer à une heure où l’Église subit dans le monde une persécution plus cruelle encore qu’à celle des premiers siècles, et où l’Occident est confronté à la plus grande épreuve collective qu’il ait connue depuis la Seconde guerre mondiale.
Marie qui défait les nœuds , gardez-nous, vos enfants, dans votre Manteau protecteur afin que nos sociétés se libèrent de la terreur qui les étreint et que, confortés par votre amour maternel, les hommes se laissent habiter par l’espérance du Salut éternel.
Solène Tadié
source iconographique: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:TeresaAvila.jpg