Sainte Hildegarde (1098-1179), religieuse bénédictine mystique et docteur de l’Eglise, que nous fêtons aujourd’hui, est également une remarquable poétesse et compositrice du XIIès, qui a composé de nombreux chants liturgiques, dont certains en l’honneur de la Vierge Marie. L’article se propose de présenter la séquence mariale ‘O viridissima virga’ et de la faire entendre aux amateurs.
Sainte Hildegarde, poétesse et compositrice renommée
Hildegarde a écrit et mis en musique plus de soixante-dix chants liturgiques, hymnes et séquences adaptés au temps liturgique. L’ensemble des chants qu’elle a composés est réuni dans le ‘Codex Villarensis‘, conservé à l’abbaye de Termonde, sous le nom de ‘Symphonia harmoniae celestium revelationum‘ (Symphonie de l’harmonie des révélations célestes).
Certains de ces chants ont été composés en l’honneur de la Vierge Marie, exaltant ses vertus et ponctuant la liturgie de poèmes, chantés entre l’Alléluia et l’Évangile dans la messe : on les appelle des séquences (du latin sequentia : qui suit). Les séquences sont généralement composées de paires de vers rimés. Les séquences d’Hildegarde ont la particularité d’être enrichies.
Parmi les séquences du recueil ‘Symphonia harmoniae celestium revelationum’ (‘Symphonie de l’harmonie des révélations célestes’) consacrés à la Vierge Marie, on peut citer par exemple : Ave Maria, O autrix vitae, O Virga mediatrix, Ave generosa, O viridissima Virga, etc.
La séquence mariale ‘O viridissima virga’ (‘O branche ô combien vigoureuse et verdoyante’)
On traduit généralement le terme « viridissima » par verdoyante. Mais dans la langue de sainte Hildegarde, il est un mot qui possède un sens très fort: celui de ‘viridité’. Ce terme est issu du latin ‘viriditas’ et mérite le détour d’une analyse. Il a la même racine que le mot latin ‘vir’, homme, et ‘vira’, femme, et que le mot ‘vis’, force. On retrouve également cette racine dans le verbe ‘vireo’: être vert-et, dans un sens second,être vigoureux, florissant- et dans le terme ‘virga’, petite branche, baguette. (Le terme « viridité » (viriditas), exprime donc à la fois cette force naturelle qui fait monter la sève et procure la fécondité, mais également, dans un sens spirituel, la force d’accomplissement de l’homme vers sa ressemblance à Dieu, les deux sens étant liés chez sainte Hildegarde en une même intelligence de la nature, un même ‘sens’, à la fois naturel et surnaturel.
La jeune fille Marie (Virgo, en latin) est donc comparée à une petite branche (‘virga‘): analogie à la fois féconde et vigoureuse, pleine de ‘viridité'(viridissima’). Cette redondance lexicale, fruit d’un subtil jeu de mots, produit une amplification, une insistance qui mettent en valeur cette nouvelle jeunesse de l’humanité, symbolisée par la figure virginale de la Vierge Marie, ‘tige féconde’ de l’arbre de Jessé et ‘nouvelle Eve’.
Voici donc le texte latin de cette séquence, sa traduction en français et son interprétation, en l’honneur de la sainte Hildegarde
O viridissima virga
1. O viridissima virga
ave, que in ventoso flabro sciscitationis
sanctorum prodisti.
2. Cum venit tempus quod tu floruisti in ramis tuis,
ave, ave fuit tibi, quia calor solis in te sudavit
sicut odor balsami.
3. Nam in te floruit
pulcher flos qui odorem dedit
omnibus aromatibus que arida erant.
4. Et illa apparuerunt omnia in viriditate plena.
5. Unde celi dederunt rorem super gramen
et omnis terra leta facta est
quoniam viscera ipsius frumentum
protulerunt et quoniam volucres coeli nidos
in ipsa habuerunt.
6. Deinde facta est esca hominibus
et gaudium magnum epulantium.
Unde, o suavis Virgo, in te non deficit ullum gaudium.
7. Hec omnia Eva contempsit.
8. Nunc autem laus sit Altissimo
ô branche verdoyante
1.Salut, ô branche vigoureuse et verdoyante,
Toi qui t’es avancée quand soufflait le vent
de la quête des Saints.
2.Lorsque vint le temps
Tes branches se sont couvertes de fleurs.
Salut, salut à toi,
En toi le Soleil a distillé sa chaleur,
Comme le parfum d’un baume.
3.Car en toi a fleuri la belle fleur
Qui a donné parfum à toutes les herbes
Même les plus arides,
4.De sorte qu’elles ont poussé dans la plénitude de leur viridité.
5.De là les cieux ont fait tomber la rosée sur l’herbe
Et la terre entière s’est réjoui,
Ses entrailles ont produit de la semence
Et les oiseaux du ciel
Y ont fait leur nid.
6.Puis elle s’est faite nourriture pour les hommes
Et source de grandes joies pour les convives.
7.Voilà pourquoi, ô douce Vierge,
En toi aucune joie ne manque.
8.Tout cela, Ève l’a méprisé.
Mais, à présent, loué soit le Très-Haut.
Pour en savoir plus :
Sur la musique d’Hildegarde de Bingen et les formes liturgiques