Même Dieu, il semblerait, prend un moment de réflexion avant d’accomplir ses œuvres les plus importantes. Quand il créa l’univers, chaque jour se succéda rapidement jusqu’à l’apparition des espèces animales. Mais avant de créer l’homme et la femme, Il se parla à lui-même – la Trinité, il semblerait, prenant conseil avec Elle-même. « Faisons l’homme à notre image », dit-Il, le « pluriel de majesté » en réalité reflétant sa vie trinitaire (Gn 1 : 26).
De la même façon, avant de créer la Vierge Marie, la plus parfaite parmi tous les êtres humains et l’apogée de toute la création, Il prend son temps. Il l’avait déjà annoncée (pendant la punition du serpent) à Adam et Ève pour les consoler quand ils durent partir du jardin d’Éden : la femme allait meurtrir la tête du serpent et celui-ci son talon (Gn 3 : 15). Mais entre cette annonce et sa naissance, beaucoup de temps allait s’écouler. Même les parents de Marie devraient attendre bon nombre d’années, stigmatisés socialement et religieusement à cause de leur stérilité.
Les plus grandes grâces dans notre vie se définissent d’un côté par leur gratuité, mais d’un autre par la souffrance qu’ils demandent (avant, pendant ou après). La souffrance fait partie de l’amour dans ce monde (mais non dans l’autre) puisque l’accès à l’arbre de vie dans le jardin d’Éden nous a été barré par le péché originel et ne peut maintenant qu’être atteint qu’en forme de la croix. Tout amour demande une mort à soi. Pour citer St. Teresa de Calcutta, nous devrions alors « aimer jusqu’à ce que cela nous fasse mal », car seulement à ce moment-là aimerons nous vraiment l’autre et ne resterons-nous pas dans l’imaginaire. Anne et Joachim ont appris cette leçon quand leur désir pour un enfant leurs a déchiré le cœur, quand ils ont été incompris et quand ils se sont sentis jugés par les hommes et par Dieu (car voilà ce qu’est la nuit obscure de l’âme) comme étant responsables de leur infécondité. Mais Dieu agit en son temps lequel n’est pas le notre et lequel nous peut paraître bien long, puisque mille ans sont pour Lui comme un jour.
Selon l’évangile apocryphe de Jacques, Joachim était allé au temple pour offrir un sacrifice à Dieu pour Lui demander la grâce d’un enfant (cela montre l’espérance de ce couple qui était déjà bien âgé), mais il fut chassé par les prêtres. En conséquence, il se réfugia chez des bergers. Dans leur compagnie, il était parmi ceux qui étaient considérés comme les plus démunis à cette époque. Mais Dieu aime les humbles et c’est aux bergers, par ses anges, qu’Il allait plus tard annoncer en premier la naissance de son Fils . C’était donc l’endroit choisi pour que Joachim reçoive par l’ange le message selon lequel leurs prières avaient été exaucées ; comme signe de la justesse de cette promesse, Anne allait d’ailleurs l’attendre à la porte dorée de Jérusalem.
Dans sa peinture de 1497 (qui se trouve maintenant dans le Statens Museum for Kunst à Copenhague), Filippino Lippi saisit l’instant où les deux se retrouvent – un moment d’amour pur. Est-ce qu’Anne s’est peut-être sentie abandonnée quand Joachim s’est enfui chez les bergers ? Si c’est le cas, il n’y pas l’ombre d’un reproche dans son visage. Le temps que Joachim a passé là-bas n’était probablement pas tellement l’occasion de s’enfermer dans sa douleur, mais le moment de tendre les bras vers Dieu dans sa détresse. Cette période dans le « désert » allait devenir le point le culminant de la lutte de Joachim, mais aussi l’instant de l’épiphanie où Dieu lui fit part de sa promesse qui allait s’accomplir bientôt. Pour Anne et Joachim, ce temps de solitude avec Dieu était nécessaire, avant de se retrouver à nouveau,. Purifié par le feu de la souffrance au fil des années, l’amour de l’un pour l’autre s’est transformé en une tendresse sans pareille, une acceptation de l’autre dans sa totalité avec toutes ses blessures et souffrances en négligeant les siennes, songeant seulement comment consoler l’autre. Anne se penche, pleine de confiance vers Joachim, qui l’embrasse avec ses deux bras. Elle ressemble à une Madone âgée, complètement abandonnée à la volonté divine et prête à suivre Dieu dans tout ce qu’Il désire d’elle.
Leur amour ne prépare pas seulement le terrain pour concevoir le sommet de toute la création, mais montre aussi comment ce qui est séparé d’un point de vue humain peut être réuni par la charité. Pendant qu’à la droite du tableau se tient le berger ayant accompagné Joachim pendant sa marche, habillé pauvrement, avec des traits rugueux, se trouvent à gauche deux femmes élégantes avec des traits très fins qui sont vêtues selon la mode Florentine de la Renaissance la plus sophistiqué qui soit. L’amour nous fait voir le cœur de l’autre et non son apparence ; il rend même possible l’acceptation sans réserve de l’autre avec toutes ses faiblesses et défauts. Les préjugés, s’il y en a, sont donc mis de côté par ceux qui ont accompagné Joachim et Anne pendant leur temps de détresse ; maintenant ils peuvent être témoins de leur réunion. Mais ces derniers ne sont pas animés par la curiosité. En effet, aucun ne se permet de regarder le couple directement. Le berger ose à peine lever ses yeux, contemplant plutôt le dos de Joachim qu’autre chose. Une des femmes baisse son regard pendant que l’autre nous observe, nous lançant son regard comme un défi lancé pour comprendre la profondeur de cet événement.
Sur le plan arrière à gauche se trouve la ville, ressemblant plus à la Rome antique dans toute sa splendeur avec ses monuments classiques et sa culture qu’à Jérusalem, pendant que sur la droite on peut voir des rochers et le troupeau que le berger a laissé pour accompagner Joachim. Toute la création, semble-t-il, se réunit pour louer l’arrivée imminente de l’Immaculée Conception qui allait aimer avec chaque fibre et toute la dimension de son être, puisqu’il n’y pas le moindre péché en elle ni de blessure originelle qui pourrait faire dévier la grâce qui la traversait complètement. Nul nœud n’était présent dans son cœur, bien que beaucoup de souffrances dans sa vie auraient pu la mener à se replier sur elle-même. C’est pour cela qu’elle est éminemment capable de défaire les nôtres. Tout ce que nous avons à faire, c’est de lui faire confiance et de nous abandonner à la volonté de Dieu qui nous aime avec une tendresse dépassant notre imagination, et qui mènera tout à bien, même si cela nous demande de porter notre croix.
Notre Dame, défaites, s’il-vous-plaît, les nœuds de notre souffrance, de notre désespoir et raccourcissez notre attente quand elle semble se prolonger à l’infini.
Marie Meaney, juillet 17, 2018
Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Joakim_og_Annas_gensyn_uden_for_Jerusalems_Gyldne_Port.jpg