La représentation de la Vierge des Litanies apparaît au début du XVIès. La Vierge Marie y est figurée entourée d’une quinzaine de symboles bibliques, issus principalement de l’Ancien Testament, et qui ont été développés dans les nombreuses litanies mariales. Parmi ces louanges mariales, les litanies de Lorette ou litanies laurétanes, appelées ainsi parce qu’elles ont été chantées dans le sanctuaire de Notre-Dame de Lorette par les pèlerins, sont connues depuis le XIIès, et ont été à l’origine de ces représentations de la Vierge des Litanies. L’article se propose d’aborder l’histoire et la composition de ces litanies laurétanes et de leur représentation, et de commenter un exemple de Vierge des litanies.

Les litanies de Lorette : histoire
Les louanges mariales se développent à partir du XIIès avec la dévotion du Rosaire, mais également avec le développement du dogme de l’Immaculée Conception, c’est-à-dire le privilège exclusivement marial de sa conception sans péché. Ce dogme se développe progressivement, il sera confirmé par la Vierge Marie elle-même à sainte Bernadette à Lourdes et proclamé par le pape le 8 décembre 1854 par le pape Pie IX, par la bulle Ineffabilis Deus.

D’autre part, la littérature courtoise du moyen Age développe toute une poésie centrée sur la femme et ses qualités, à partir du XIIè siècle, qui tend à idéaliser la femme. Si la fin’amor (« amour parfait ») désigne plus précisément une sorte de religion de l’amour, c’est bien sur le modèle idéal féminin que s’appuie cette vision de la femme : la Vierge Marie. Cette poésie médiévale s’inspire en effet elle-même de la poésie antique et biblique. La Vierge Marie est bien le modèle de toute femme, la « nouvelle Eve ». L’énumération des qualités mariales rappelle aussi les procédés de la poésie courtoise ; la Vierge, à l’image de la dame courtoise, est un modèle de perfection et de vertu. Il n’est donc pas étonnant que troubadours et trouvères aient chanté la Vierge Marie (on peut citer, par exemple, le poème Les Neuf joies de Notre-Dame, attribué à Rutebeuf, XIIIès). Prières liturgiques ou libres, dévotions, légendes, conversations avec Marie composent donc l’atmosphère « mariale » dans les derniers siècles du Moyen Age. Au fil des siècles, l’ hommage à la Vierge fut peu à peu codifié, approuvé par le pape Clément VIII en 1576, et connu sous le nom de Litanies de Lorette.

Sources des symboles marials dans les Litanies laurétanes
Les Litanies de Lorette sont essentiellement inspirées de la poésie de l’Ancien Testament : Cantique des Cantiques, Genèse, Psaumes, Ecclésiaste ou Livre du Siracide, et Livre de la Sagesse. Toute cette rhétorique mariale confère une vision emblématique de Marie ; chacun des attributs mystiques matérialise le dogme de l’Immaculée Conception, dont la Vierge des litanies est la personnification.

Comparaisons et métaphores empruntées au champ de la Nature:
– ‘Éclatante comme le Soleil’ (‘Electa ut sol’) et ‘belle comme la Lune’ (‘Pulchra ut Luna) sont des expressions provenant toutes deux du Cantique des Cantiques ( (Ct 6, 10). De même, dans le Livre du Siracide (26,16) la beauté de l’épouse est exaltée et comparée au soleil qui s’élève dans les cieux.
-’Étoile de mer’ ou ‘Étoile du matin’ (‘Stella maris’ ou ‘Stella matutina’). Ces qualificatifs ne proviennent pas de la Bible, mais de de l’étymologie du prénom « Marie » (« Maryam » en hébreu).
– ‘Jardin clos’ (‘Hortus conclusus’) expression issue elle aussi du Cantique des Cantiques (4, 12) où la fiancée est appelée « jardin clos ». Cette image met l’accent sur la virginité, et a été rattachée à celle de la Vierge Marie .
– ‘Fontaine des jardins’ (‘Fons hortorum’) et ‘Puits d’eaux vives’ (‘Puteus aquarum viventium’) L’expression est issue du Cantique des Cantiques (Ct, 4, 15).
– ‘Cèdre surélevé‘ (Cedrus exaltata’), (Sir, 24,13).
– ‘Olivier à l’aspect brillant’ (Oliva speciosa), (Sir, 24, 14).
– ‘Buisson de roses’ (‘Plantatio rosae’) , expression qui évoque les roses de Jéricho, citées dans le Siracide (Sir ; 24, 14).
– ‘ Lys parmi les épines’ (Lilium inter spinas’) , expression reprise du Cantique des Cantiques, (Ct 2, 2).
Tige de Jessé fleurie (Virga Jesse floruit)
– ‘Rose mystique’ (‘Rosa mystica’)signifiant cette appellation fait référence à Marie et au mystère de l’Incarnation. Cette analogie a été reprise des écrits des Pères de l’Église, comme saint Bonaventure.

Métaphores crées à partir d’objets:
– ‘Miroir sans taches’ (Speculum sine macula’) évoque l’absence de péché originel chez Marie, et le fait qu’étant sans tache, elle reflète la pureté de Dieu (Sagesse, 7, 25-26).
– ‘Miroir de Justice’ (‘Speculum justitiae’). La métaphore du miroir va être développée dans toute la tradition médiévale. Justice est employé dans le sens de justesse, d’ajustement à la volonté divine.
-’Vase spirituel’ et ‘vase honorable’, (‘Vas spirituale’ , ‘Vas honorabile’) Le symbole du vase est clair : c’est l’image du sein maternel et virginal, du réceptacle.
-’Trône de Sagesse’ (‘Sedes sapientiae’). le Christ étant l’incarnation de la Sagesse divine, Marie le tenant sur ses genoux en est donc comme le trône.

Métaphores empruntées au vocabulaire de l’architecture
– ‘Tour de David’ (« Turris Davidica »), (Psaume 61, verset 3) ou « Turris eburnea » , « tour d’ivoire » (Cantique des Cantiques, chapitre 4, verset 4). L’image évoque la protection, la solidité, mais également la Virginité de la Vierge Marie .
– ‘Porte de la ville’ (‘Porta civitatis’) ,,ou ‘Porte du Ciel’ (‘Porta coeli’) ; (Gen., 28, 16-17).
– « Civitas Dei » « Cité de Dieu » mais aussi « Jérusalem Céleste » (Psaume 87, verset 3). Jérusalem, ou Sion, est le symbole de la Cité de Dieu se réalisant dès cette terre. La Vierge Marie est donc Celle par qui le salut se réalise.
– ‘Maison dorée’ (‘Domus aurea’). Cette image unit celle du réceptacle, de la protection, de la pureté (l’or est un métal très pur) et de la rareté.
– « Arche d’Alliance’ (‘Foederis arca’). La Vierge Marie est bien l’arche permettant la Nouvelle Alliance (Jér. 31, 31-34).

La Vierge des Litanies
La représentation de la Vierge des Litanies apparaît au début du XVIè siècle. A cette époque, la piété mariale se renforce, notamment face au protestantisme, qui minimise la figure de la Vierge Marie, et les confréries dédiées à la Vierge Marie se développent. La Vierge Marie est alors figurée entourée des symboles des litanies, qui sont, comme nous l’avons vu, des formes de louange mariale. D’autre part, en Normandie, on trouve de nombreuses représentations liées à cette dévotion à la Conception Immaculée. Les gravures des Heures à l’usage de Rouen, imprimées par Antoine Vérard, en 1503 en témoignent, mais aussi la sculpture, particulièrement riche en cette région sur ce thème. Le bas-relief provenant de la cathédrale de Bayeux en est un bel exemple. La Vierge Marie y apparaît enveloppée des rayons de la gloire de Dieu, signe de sa prédestination, et entourée de ses attributs mystiques.Chacun d’entre eux correspond à une inscription latine située dans un phylactère.

Isabelle Rolland

Source iconographique: https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Bayeux-Notre-Dame-retable.jpg

Pour en savoir plus :

sur Rutebeuf : Les neuf joies de Notre Dame

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